Art Thinking
“L'artiste a le pouvoir de réveiller la force d'agir qui sommeille dans d'autres âmes”, propose Nietzche dans Le Gai Savoir. L’artiste que l’on se représente avec un certain romantisme, comme un être tourné vers l’intérieur de lui-même, tout occupé à une obscure négociation avec les forces de l’inspiration, serait au moins autant un ego au service d’une communauté.
Comment qualifier ce service qu’il rend aux autres ? Qu’attendons-nous de lui ?
Cela a sans doute quelque chose à voir avec sa capacité supposée à anticiper les changements, à voir venir les ruptures et déceler les nouvelles voies.
Ce que semble suggérer Nietzche, c’est que certains humains, parmi les autres, seraient capables de cette performance tandis que le reste des individus seraient moins sensibles a priori aux évolutions profondes du monde. On pourrait toutefois les réveiller, les mettre en capacité de faire quelque chose de nouveau de cette matière transmise.
Il suffit d’ouvrir l'Histoire de l’Art d’Ernst Gombrich ou celle d’Elie Faure pour voir se déployer devant nos yeux une incroyable galerie de modèles d’innovation : invention de la représentation (31000 av JC), du portrait (2300 av JC), de l’encaustique (500 av JC), de la porcelaine (1er siècle), de la coupole et de la perspective conique (15ème), des traités d’anatomie (16ème), de la théorie des couleurs et de la photographie (19ème), de l’abstraction et de l’art numérique (20ème)… Les exemples sont surnuméraires.

Musée de Sao Paulo
Sciences et Arts cohabitent depuis toujours, parfois dans l’esprit d’une seule et même personne. Déjà, l’Artiste qui peignit les chevaux sur les murs de la grotte de Chauvet avait trouvé le stratagème technique pour donner l’illusion de les voir galoper dans les oscillations de la flamme d’une torche (les hommes du Paléolithique aimaient déjà le cinéma).
Et tout le monde garde à l’esprit les apports de Léonard de Vinci à l’industrie moderne.
On suppose donc, à force d’observations, que les artistes sont - d’une manière ou d’une autre - à l’origine de ces changements culturels. Ils sont des innovateurs, des visionnaires, des fontaines à idées nouvelles. Ils contribueraient à façonner à partir de leurs visions oniriques et subjectives notre devenir en tant que civilisation intellectuelle, esquissant à grands traits les idées et modèles qui nous deviendront familiers, quelques décennies voire quelques siècles après eux.
Mais peut-être est-ce au fond une vue de l’esprit. Peut-être les artistes “sentent-ils” plutôt le vent tourner, avec le même genre de 6ème sens intuitif qu’on accorde volontiers aux animaux juste avant les catastrophes climatiques.
